Mon souhait d’auteur pour 2017

Mon souhait d'auteur, c'est que 2017 soit traversé par le souci de l'écriture et de la prise de parole comme remparts à l'ignorance, à l'intolérance et à la barbarie. Plus que jamais, nos mots et nos récits d'auteurs pour la jeunesse doivent servir à semer chez nos lecteurs les bases d'un monde meilleur, plus humain et plus juste. Plus que jamais nos univers imaginaires doivent nourrir nos lecteurs des forces et des visions d'une humanité en devenir forgée aux valeurs de respect, de tolérance et de solidarité. Notre privilège d'auteur pour la jeunesse ne doit pas nous faire oublier les réalités de ce monde. Qui plus est, elles doivent nous motiver à créer la plus signifiante des rencontres entre l'imaginaire et le réel afin que notre travail prenne un véritable sens au sein de nos sociétés. Parce que l'imaginaire n'est pas l'amusement. Parce que la culture demeure la force d'évolution de toute société.  

2015 ! La vie et l’intelligence de vivre avant tout

Je retrouve ce journal à l'aube de 2015 après des mois d'absence. Parfois le silence est une bonne chose. Il faut, cependant, savoir en sortir lorsque cela devient une nécessité de prendre la parole. Mon souhait  de la vie et de l'intelligence de vivre avant tout est plus que jamais une exigence, tant d'un point de vue personnel que social.La lutte de ma compagne contre cette maladie de notre temps, le cancer, nous a plongés dans ce tourbillon qu'est l'univers médical et, surtout, nous a mis concrètement face à cette réalité de l'éphémère de notre existence. On a beau le savoir intellectuellement, le vivre prend une autre dimension, affective et quotidienne. La force du lien de complicité et de présence à l'autre devient alors ce qui permet de faire face à cette épée de Damoclès; de savoir en reconnaître la présence sans pour autant lui donner le pouvoir sur notre choix de vivre.

C'est également d'un autre point de vue que je pose ce souhait de la vie et de l'intelligence de vivre avant tout. Il est plus que temps d'offrir à nos enfants, de nous offrir, autre chose que cet univers d'agitation, de violence, de barbarie, de vide de l'être nourri de l'illusion de l'avoir de la surconsommation. Il est plus que temps de quitter nos coquilles d'individualisme et d'indifférence, de cesser de s'enfoncer dans cette apathie intellectuelle qui étouffe tout sens critique et conduit à devenir les pions de tous les totalitarismes : intellectuels, politiques, économiques ou religieux. Il est plus que temps de cesser de déléguer notre intelligence à des machines et de retrouver le sens de ce qu'est l'humain dans le vrai sens du terme.   

Conte de Noël ou compte de Noël ?

L’air du temps se saturant, de plus en plus, de l’atmosphère de Noël, je me suis dit que le mieux serait de mettre mon humeur au même diapason. Ça tombe bien puisque Père Noël ayant décidé de plus démissionner, cela me donne la chance de pouvoir lui écrire ma lettre. Certaines et certains d’entre vous vont, probablement, trouver que cela n’est plus tout à fait de mon âge. Dommage car, à mon point de vue, il me semble qu’il n’y a pas d’âge pour se lancer dans cet exercice. Nous sommes tous porteurs de notre enfance, à divers degrés. Pourquoi ne pas l’accepter ?

Monsieur, tout de même, vous savez bien que le Père Noël n’existe pas ! Ah oui ? Dans ce cas, expliquez-moi donc, alors, pourquoi vous faites tant de cas de cette fête ? Pourquoi autant d’exploitation d’un personnage qui n’existe pas ? Comment expliquez-vous que vous mettiez autant d’énergie à faire tant de tralala autour de son nom ? Laissez-moi vous dire, à ce propos, que ces pseudos Père Noël que je croise dans les centres commerciaux ou sur les rues marchandes, avec leurs fausses barbes plastifiés et leur Ho ! Ho ! Ho ! sonnant faux, sont, généralement, assez pathétiques.

Et la magie de Noël, celle qui émerveille les enfants, qu’en faites-vous alors monsieur ? J’attendais votre question pour mieux vous la retourner. Cette magie que vous leur attribuez, n’est-ce pas, dans le fond, un peu de celle dont vous aimeriez pouvoir encore vous étonner ? Seulement voilà, il y a un doute. La magie, c’est comme le Père Noël, ça n’existe pas. Dommage pour vous. La magie ça existe et on devrait même la considérer comme essentielle au bien-être global de tout être humain. Hélas, on ne peut pas l’acheter dans un centre commercial !

On a dénaturé la magie, particulièrement celle de Noël. Ce n’est plus la chasse aux lutins qui mobilise nos énergies pour construire avec nos enfants ces fabuleux pièges dont ma fille aînée possède le secret de fabrication. Cette année, Zoè et Elwan, mes petits-enfants, ont réussi à en prendre chacun un. Imaginez leurs regards heureux, lorsque sortant dans la cour, chaudement habillés, ils ont trouvé leur lutin au fond de la boîte en carton ! Cette chasse aux lutins est bien plus riche de magie que la chasse aux aubaines de ce non-sens qu’est le boxing-day. Indécente journée, dans mon échelle de valeur, qui porte bien son nom. Il suffit de voir comment certains se bousculent comme sur un ring de lutte !

Si le vrai Père Noël n’existe pas, qu’est-ce qui nous empêche de penser que nous pouvons toujours être le Père Noël de quelqu’un ? Et si nous retrouvions, simplement, cette capacité de faire de ce moment du solstice d’hiver, une pause vraie au milieu de la folie ambiante ? Et si nous acceptions, pour quelques heures, de nous déconnecter de tous ces gadgets semeurs d’illusions et de virtualité pour nous connecter avec les êtres : nos enfants, nos compagnes et compagnons de vie, ceux et celles que l’on aime ou que l’on côtoie ? Chacun serait alors un vrai Père Noël !

Il ne suffit pas de faire jouer de belles chansons de Noël, de garnir nos maisons de décorations et de lumières ni même d’installer des Père Noël, des traîneaux et des rennes gonflables pour recréer la magie. Il faut d’abord la porter en soi et savoir la partager dans ce qu’elle porte de plus fabuleux : savoir prendre le temps d’être. Voilà, je crois, le plus beau cadeau de Noël à offrir et à s’offrir.

 

 

 

Sauverons-nous vraiment notre langue ?

Voilà maintenant quelques décennies, disons deux pour ne pas avoir l’air trop ringard, que je fais des rencontres dans les écoles du Québec et d’ailleurs au Canada. Lors de cette même période, j’ai vu passer bien des commentaires quant à la nécessité de sauvegarder notre belle langue française. J’ai applaudi l’idée de la loi 101 et dénoncé les excès, inconcevables, dont ont fait preuve, récemment, certains des fonctionnaires chargés de veiller à son application. J’ai compris, ce jour-là d’ailleurs, que, contrairement à ce qu’affirmait ma grand-mère, le ridicule ne tue pas. Bref, en ce qui me concerne, depuis toutes ces années, ma passion de la langue française a survécu, contre vents et marées, aux assauts du temps.

Cela dit, je me questionne sérieusement sur notre capacité collective à vraiment faire en sorte que notre langue commune soit sauvegardée. Le doute me titille. L’inquiétude me bouscule dans certaines de mes certitudes. Et si nous n’arrivions plus à transmettre la force et la beauté de cette langue? Et si les semeurs de catastrophes avaient raison en pointant de leur doigt accusateur les nouvelles technologies et ces façons de rédiger en limitant le nombre de caractères? Essayez donc d’imaginer comment Marcel Proust réagirait face à cette réalité. En quelques décennies, écrire est passé d’une époque où le style et le vocabulaire avaient encore du sens à celle où ce qui importe, c’est le nombre de caractères. Époque oblige : la quantité aux dépens de la qualité n’est pas une tendance spécifique au style. Aurons-nous, dans un avenir plus ou moins proche, des penseurs et des philosophes synthétisant leur pensée en 140 caractères? Brillant exercice! Presque une prouesse écologique : on économise du papier.

Mais je m’égare. Revenons à mon propos. S’il est un lieu où la langue française se doit d’être présente dans toute sa splendeur, c’est bien à l’école. Sur le principe, tout le monde est d’accord. Mais dans les faits, qu’en est-il? Certes on y apprend à lire et à écrire. Mais, comment se fait-il qu’on n’y apprenne pas à parler, ou plutôt à savoir prendre la parole. Je ne parle pas là de l’exercice consistant à présenter un exposé. J’entends par prendre la parole savoir exprimer, clairement et sans crainte de le faire, des idées, des points de vue, des émotions, des rêves. J’entends par là ne pas craindre de lire un texte à voix haute avec ce plaisir des mots et du récit. Rien à voir avec cet ânonnement (j’assume pleinement la désuétude du terme) pénible dont chacun souffre, l’émetteur autant que le récepteur, lors de la présentation de certains exposés.

On me répondra, bien sûr, que cela se fait déjà. Tant mieux. Alors, allons plus avant. Combien d’adultes éprouvent du plaisir à lire, véritablement, un texte aux élèves, quel que soit leur niveau scolaire? Un véritable texte qui les touche avant même de savoir s’il pourra intéresser leurs élèves. Pourquoi ce moment heureux ne serait-il réservé qu’aux enfants de la maternelle; ce qui, du même coup, infantilise cette démarche? N’y a-t-il pas meilleure pédagogie que celle de l’exemple? Voilà, à mon humble avis, un espace qui mérite d’être développé dans les classes. Lire, lire et lire. Lire de la poésie, plonger les oreilles dans la musique de la langue demandant aux élèves de se laisser bercer plutôt que de questionner. A-t-on vraiment besoin de savoir le sens du mot micocoulier pour en goûter la musicalité et laisser notre imagination lui donner un sens? Pourrions-nous cesser de toujours considérer notre rapport à notre langue sous l’angle fonctionnel? Lui redonner cette place qui fera en sorte qu’on pourra, peut-être, enfin la considérer sous un autre jour que celui des contraintes.

Il en va de même pour l’écriture. D’où vient cette crainte de bien des gens, y compris dans le monde de l’éducation, d’écrire? De la peur de faire des fautes? De ce que la complexité de notre langue écrite a laissé comme souvenirs désagréables? Quelle que soit la raison, une réalité demeure : nous devons apprendre à écrire à nos élèves. Comment ces derniers perçoivent-ils cette activité? Tout dépend, bien évidemment, de la nature de leur maîtrise des codes linguistiques. Ceux qui les possèdent ont du plaisir. Les autres non. Cela signifie-t-il pour autant qu’ils et elles ne soient pas capables d’écrire? Ce plaisir de l’écriture, il doit venir avant tout de la capacité de savoir créer des histoires, d’avoir des choses à dire. Nul besoin pour cela de maîtriser, au départ, la règle d’accord du participe passé. Il suffit de savoir développer son imaginaire. Or, apprend-on à l’enfant comment développer son imaginaire? On lui demande de faire preuve d’imagination, de dépasser les stéréotypes télévisuels. Parfait pour certains. Et les autres, ceux et celles dont on dit qu’ils n’ont pas d’imagination, ils font quoi? On les laisse sur le bord du chemin qui mène droit au désaveu de la langue. L’imaginaire, comme la musique ou le sport, se développe en s’exerçant. Problème : la didactique n’est pas souvent complice de l’imaginaire. Dommage ! D’autant plus qu’il existe de superbes façons, ludiques et créatrices, de plonger au cœur de cet univers. Il ne suffit pas d’admirer Alice au pays des merveilles, il faut se lancer à la poursuite du lapin et s’acoquiner avec le Chapelier fou.

J’ai un rêve en tête : et si l’école, en plus de sa fonction de base, se donnait le mandat de plonger les élèves, et tout le personnel, dans une immersion totale de cette langue, belle, musicale et jouissive. Peut-être qu’alors nous n’aurions plus peur comme société de la perdre. Elle serait enracinée.

Sur le chemin… des roches de sagesse

« Les seuls mots qui méritent d'exister sont les mots qui surpassent le silence. »

Juan Carlos Onetti, écrivain uruguayen (1909-1994)

Parfois le doute m’assaille

   Tout a commencé dans l’autobus. Mais, le gros de la crise est survenu dans le métro de Montréal, un matin à l’heure de pointe. D’abord une sensation de malaise rapidement suivie d’une crise profonde de doute. Je sais bien que c’est assez surprenant en cette époque où l’on ne doute plus. Une image du film 2001 Odyssée de l’espace est venue soudain heurter ma mémoire, telle un météorite : des ordinateurs qui se comportaient comme des humains. Un doute m’a alors assailli. Et si l’humain se comportait désormais comme un ordinateur ?

   Pourquoi une telle réaction ? Tout simplement la vue de tous ces gens rivés à leurs gadgets électroniques, symboles de la communication instantanée et de l’abolition de la distance. Mais, ce qui m’a le plus frappé, c’est ce jeune homme, penché sur son téléphone cellulaire et qui «lisait» une bande dessinée. Les guillemets accolés au verbe lisait sont la marque même de mon doute et du questionnement qu’il provoque. Il lui était impossible de visualiser une vignette entière. Il devait donc mettre en œuvre cette faculté d’animation digitale qui consiste à caresser la surface de l’écran et à observer, rapidement, chaque partie de l’image, détail par détail. Pour moi, vieux lecteur de bande dessinée, ce fut un choc. Mais comment peut-il réussir à lire dans ces conditions ?

    Quand le doute m’assaille, je ne m’abstiens pas, bien au contraire. Je questionne, je fouille, je creuse. Ce que j’ai découvert me fascine et me déroute à la fois. Je me sens totalement en phase avec ce que Pascal exprimait à propos de l’infiniment petit dans l’infiniment grand, la première proposition me situant parfaitement bien par rapport à la seconde : l’espace de mes découvertes. « Le cerveau humain n’était pas programmé pour être capable de lire. Il l’était pour sentir, entendre, parler regarder… Mais nous n’étions pas programmé génétiquement pour apprendre à lire.» C’est le neuroscientifique français Stanislas Dehaene, spécialiste de l’imagerie mentale, qui tient ses propos. Évidemment, on pourra me dire que nous sommes loin de la salle de classe et des débats sur les méthodes les plus efficaces pour apprendre à lire ou sur la meilleure manière de développer le goût de la lecture. Et pourtant, nous n’en sommes pas loin. À l’ère de la culture numérique, on ne peut plus faire l’économie d’un fabuleux champ de recherche : celui des neurosciences. Or, paradoxe étonnant, on aborde très peu ce sujet dans le monde de l’éducation, là où il s’avère pourtant fondamental.

   Que l’on fasse ou non le procès des avancées de la technologie ne nous aide en rien tant et aussi longtemps que l’on n’en saisit pas les impacts sur ceux qui les utilisent. Je vois de plus en plus de salles de classes équipées de tableaux interactifs, d’élèves équipés de tous les gadgets nécessaires afin que le milieu de l’éducation ne perde pas pied et ne soit pas totalement démuni face à l’univers et aux intérêts des jeunes. Le must en matière de rencontres d’auteur, c’est désormais celle qui se fait par écrans interposés. L’aspect humain de la rencontre en est donc, hélas, évacué.

    Les outils sont là certes, mais sommes-nous pour autant réellement conscients de ce qu’ils provoquent ? Dire que nous sommes ce que nous lisons et que ce que nous lisons nous façonne est tout à fait justifié. Mais une nouvelle perspective doit être envisagée désormais : quel impact ont sur notre cerveau ces technologies ? Comment façonnent-elles nos façons de lire ? Les réponses sont, peut-être, autant de raisons de repenser nos approches en matière d’apprentissage de la lecture, à tout le moins d’y réfléchir. C’est ce que souligne, à sa façon, Stanislas Dehaene, dans son livre Les neurones et la lecture[1] en faisant le constat que : « Notre système scolaire, trop longtemps soumis aux aléas de l’intuition de tel ou tel décideur, ne peut plus accepter de subir réforme après réforme sans que les connaissances de neurosciences cognitives ne soient prise en compte.»

   Il serait prétentieux de vouloir faire ici un résumé de cet ouvrage complexe mais passionnant qui fait le point sur les acquis de la recherche scientifique en matière de lecture. Comment l’homme a-t-il pu réussir à inventer la lecture et l’écriture qui ne sont en rien des fonctions naturelles ? Comment réagit le cerveau lors de l’apprentissage de la lecture et dans l’acte de lire lui-même ? Pourquoi certains enfants font-ils face à des difficultés, souvent insurmontables, dans l’acquisition de ces compétences ? L’un des points intéressant mis en valeur, c’est que le circuit de lecture n’est pas homogène. L’imagerie cérébrale a mis en lumière que les zones cérébrales activées dans un processus de lecture sont sensiblement différentes selon les formes d’écriture. Il y a donc plusieurs circuits de lecture dans le cerveau.  Chaque enfant qui apprend à lire développe ainsi son propre circuit de lecture. Tout cela a calmé certains de mes doutes et m’a renforcé dans cette conviction qu’il faut toujours veiller à améliorer son jardin, à essayer de nouvelles variétés, plutôt que de toujours se contenter du même décor immuable.

    Mais un  léger doute subsistait encore. Est-ce la même chose de lire de la bonne vieille façon traditionnelle et de le faire sur des supports numériques ? Cette fois, c’est encore un livre qui m’a aidé à calmer mes inquiétudes. Dommage que la traduction du titre ne soit absolument pas à la hauteur du contenu, loin s’en faut. Il me semble pourtant qu’on sait dans le monde de l’édition à quel point un titre c’est vendeur. Internet rend-il bête ?[2] pour traduire le titre original The Shallows , il me semble que ça manque de profondeur. L’ouvrage de Nicholas Carr, par contre, n’en manque vraiment pas. Tout aussi intéressant que le livre de Stanislas Dehaene et tout à fait dans sa continuité, mais beaucoup plus accessible, cet ouvrage pose une question fondamentale.  Notre esprit et notre comportement social sont-ils influencés par Internet ? C’est dans une étonnante perspective de l’histoire des façons dont l’homme a exprimé sa pensée à travers les âges, que cette question est abordée.

    Pendant longtemps, on a considéré le cerveau comme une sorte de matière vierge où venaient s’imprimer les données fournies par l’environnement social et culturel. On sait aujourd’hui que le cerveau est plastique, qu’il change sans arrêt ; que dans le cas de la lecture, par exemple, il se réorganise en fonction à la fois du type d’écriture et du médium utilisé. Chaque fois que nous apprenons un nouveau savoir-faire, notre cerveau se modifie de façon substantielle aux niveaux physique et fonctionnel. Nous acquérons de nouvelles compétences et nous en perdons d’anciennes. Cette lecture, désormais numérique, prend de plus en plus de place dans chacun de nos gestes quotidiens. On peut donc se demander, compte tenu de la plasticité de notre cerveau, quelles en sont les conséquences sur nos circuits de lecture ?

    Nicholas Carr constate que, de plus en plus, « Nous commençons à traiter l’information comme si nous étions des nœuds, tout est question de vitesse, de localisation et de lecture de données. Nous transférons notre intelligence dans la machine, et la machine transfert sa façon de penser en nous.» La lecture en ligne diffère grandement de la lecture profonde. Cette dernière demande de la lenteur et de la concentration. Avec le numérique, estime Maryanne Wolf, directrice du centre de recherche sur la lecture et le langage de l’université Tufts de Boston, l’attention et la concentration sont partielles et moins soutenues. C’est l’immédiateté qui en est la caractéristique première.

   Alors que la lecture profonde, celle en rapport avec le livre comme objet, requiert la concentration, la lecture numérique se fait dans une démarche de tâches multiples. Les liens sollicités en permanence nous font naviguer au gré des informations qui s’amoncellent les unes sur les autres. Certes il est possible d’apprendre tout en manifestant un certain niveau de distraction. Mais, ce que démontrent les recherches en neurosciences, c’est que ces nouvelles façons de faire ont une influence certaine sur le fonctionnement neuronal.

    Nous sommes probablement à un autre tournant majeur de notre histoire intellectuelle et culturelle. Le mode analogique cède la place au mode numérique. Il est évident qu’à plus ou moins long terme, le monde de l’éducation devra repenser ses façons d’approcher la lecture et l’écriture en fonction de tout ce qui vient d’être effleuré dans ce billet d’humeur.  Si tous ces changements ont une influence sur notre cerveau, il faudra bien qu’ils en aient une sur la pratique pédagogique en lecture. Finalement, je crois que le doute m’assaille encore un peu. Peut-être un effet de mon âge, moi qui suis d’une époque où l’on écrivait encore à l’encre et à la plume trempée dans l’encrier !




[1] Dehaene, Stanislas, Les neurones et la lecture, Éditions Odile Jacob, Paris, 2007

[2] Nicolas Carr, Internet rend-il bête ? Éd. Robert Laffont, Paris, 2011